Le duc Charles III décide, en février 1599, la reconstruction de la halle et auditoire.
On choisit, pour étudier le projet et dresser les plans, Nicolas LA HIERE, maître et conducteur des bâtiments de Son Altesse.
Nicolas la Hière, La Hier ou La Hire, n’ est pas un inconnu, c’est un architecte de talent. Une récente étude de L. Chatelet-Lange, parue dans la revue “Le Pays Lorrain” -1986/2, nous révèle que le magnifique Hôtel de Lillebonne, rue de la Source à Nancy, est son œuvre. “Architecte du duc Charles III, après avoir oeuvré aux fortifications de la ville neuve de Nancy, il travaille entre 1595 et 1603 au Palais Ducal”. C’est donc juste au milieu de cette dernière période qui il est choisi pour dresser le projet de Vézelise.
L’ essentiel des travaux qui vont être entrepris nous est fourni par deux documents:
- le premier, conservé aux Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle dans la layette “Vaudémont additions” (B 961 n°25) est intitulé: “Déclaration de ce que pourroit monter la despense nécessaire au rechangement de la halle de la ville de Vizellise, tant pour les prix des maisons qu’ il convient abbatre pour donner air et ouvrir les rues d’ alantour de ladite halle que pour 1′ érection d’ icelle, faict conformément au deseing représenté et dressé par Nicolas La Hier, maître et conducteur des bastiments de Son Altesse, y compris un auditoire pour tenir les fournées et siège de justice du bailliage de la Comté de Vaudémont, le tout apprécié selon la congnoissance que ledit La Hier en peult avoir et congnoistre au plus juste tant qui il luy est possible toutteffois, remettant le tout au jugement de ceulx lesquelz auront meilleure congnoissance du prix et évaluation desdites maisons”. Cette pièce, écrite peut-être sous la dictée de Nicolas La Hière, sinon de sa propre main, renvoie continuellement, au moyen de lettres de références, au plan qui y était annexé mais malheureusement a disparu.
- Le second document, conservé aux Archives Municipales de Vézelise sous la cote (DD15) est encore plus précieux car beaucoup plus détaillé. Ii est intitulé : “Desclaration des matériaulx et ouvraiges requis et nécessaires à la construction de la halle et auditoir desseignez au lieu de Vézelise, cousu desdits matéraulx par advis d’ experts, mises et echeoittes desdits ouvraiges à la ravale et à cul moins, sous la réserve néant moins du bon plaisir de Son Altesse”. (Voir le manuscrit dessous). Comme pour le premier document, ce texte se réfère à des plans qui y étaient joints. Eux aussi sont perdus.
“Le lieu et sol de la scituation de ladite halle contient en son tout 150 pieds de longueur et en largeur 46 pieds”.
Cet emplacement correspond à peu de choses près à la surface occupée actuellement par l’ auditoire (ex Justice de Paix) et les halles de bois jusqu’à l’escalier de l’hôtel de ville.
A l’occident de cet emplacement “se prendra une place de 60 pieds de longueur sur 46 pieds de large pour y construire et bastir l’ auditoire”, le reste, soit une surface de 90 pieds de long et 46 de large, étant réservé à la halle proprement dite.
L'auditoire
Il sera bâti en maçonnerie et pierre de taille.
Le rez-de-chaussée:
Il s’ouvrira sur l’extérieur par quatre entrées en arcades de pierre de taille de 12 pieds de largeur sur 12 pieds de hauteur (environ 3, 5m x 3, 5m).
A l’intérieur et au pourtour de ce rez-de-chaussée, se dresseront seize boutiques (4 à chaque angle) “pour bouchiers et aultres marchands” élevées de 14 pieds (4m); chacune s’ouvrant au public par une arcade de 6 pieds d’ouverture (1m70) juxtaposée à une porte d’ entrée de 2 pieds 3/4 de large sur 6 pieds 1/2 de hauteur, le tout en pierre de taille. Lesdites boutiques surmontées d’ un plancher et “d’une toiture toute basse couverte de tuiles”.
L’ emplacement resté libre, au centre de ce rez-de-chaussée, “servira pour y peser et décharger toutes marchandises sujettes au poids” mais sera recoupé par un mur de refend percé lui-même d’une grande arcade de pierre de taille de 10 pieds de large et de deux petites de 5 pieds de part et d’autre.
L’ancienne “maison du poids de 15 pieds en son quarré” devait être démolie “pour donner plus d’ air à l’ entrée de la halle” et le poids public replacé au dessous de l’auditoire.
L’ étage:
À l’étage se trouvera la salle de l’auditoire proprement dite ainsi qu’ une chambre annexe, le tout éclairé par sept grandes croisées de pierre de taille de 8 pieds de haut sur 6 pieds de large chacune (2m 30 X 1m 75).
La grande salle de l’auditoire étant elle-même éclairée par quatre fenêtres dont trois défendues par des barreaux de fer.
Ces deux salles s’ouvriront chacune par une porte en pierre, celle de la grande salle mesurant 6 pieds de large sur 10 pieds 1/2 de haut (1m 75 X 3m).
Au niveau supérieur:
“Il se fera aussi un grenier pour y retirer les grains de la vente ou pour telle autre commodité auquel il y aura une porte et sept petites fenestres de grenier de 3 pieds de haut et I pied 3/4 de largeur, le tout en pierre de taille”.
L’ensemble de l’édifice, du sol jusqu’ à l’amorce de la toiture mesurera 35 pieds de hauteur soit 10 mètres environ.
La Halle
Quant à la halle elle-même, entièrement construite en bois, elle ne devait guère différer de ce que nous pouvons voir encore actuellement.
L’architecte La Hière laissa à un spécialiste, Maître Claudin Philippe charpentier à Vézelise, le soin d’ en dresser le plan, ne connaissant probablement pas suffisamment à fond la technique de la charpenterie.
Préliminaire à la construction
Avant de commencer à bâtir, il fallait faire place nette.
A l’ emplacement prévu pour la construction de l’ auditoire s’ élevaient cinq maisons appartenant à des particuliers. Le duc les fit exproprier. Il s’ agissait :
I – des deux maisons d’ Honoré de Nancy estimées 1500 francs:
1- la première “fort vieille et de peu de valeur” de petites dimensions (7m x 6m 50 pour 5m de hauteur) consistait en une simple boutique au rez-de-chaussée dans laquelle on entrait par une porte en pierre de taille et qui s’ouvrait par une arcade surmontant un “accoustoir de bouticle”, aussi en pierre de taille de 2m 20 de longueur.
Cet “accoustoir de boutick” nous fait songer à l’appui de pierre formant la base de l’arcade murée située à l’angle de notre “Hôtel du Bailli” qui peut-être donnait le jour à une boutique incluse dans l’immeuble ?
2- la seconde de 6m x 5m pour 11 m de haut, comportait une porte d’entrée, deux fenêtres jumelles, une fenêtre de grenier. Seul le niveau inférieur était en maçonnerie, les parties supérieures “en vieil bois”.
II – de la maison de Claude Martin, estimée 900 francs :
Mesurant 6m X 6m pour 8m de hauteur, avec entrée et deux boutiques. Comme la précédente, seul le rez-de-chaussée était en maçonnerie, le restant “estant en apparoir gissé” (gypsé ?).
Il est à noter que ces deux dernières maisons témoignent de l’existence à Vézelise, à l’aube du XVIIe siècle, de vieilles constructions de tradition médiévale, partiellement construites en bois ou à colombage et torchis.
III – de la maison de noble François Huyn, Contrôleur en l’estat de Msgr le Comte de Chaligny, estimée 1250 francs :
Elle était un peu plus importante (13 m x 6 m et 11 m de haut) “toute en muraille, avec sept fenestres de taille dont deux fenestres jumelles”.
IV- enfin celle de Nicolas Bastien ayant 6 m x 5 m pour 12 m de haut qui fut estimée 1550 francs car “hostie tout à neuf avec fenestres, portes, cheminées bien commodes en pierre de taille, bons sommiers et planchers tous doublés…”
L’ expropriation faite, on procéda à la démolition de ces cinq maisons et des vieilles halles après que les matériaux aient été vendus aux enchères.
“Le bois des deux halles et toicture d’icelles a été mis à prix à six vingt francs” (120) et adjugé finalement à 232 frs. Il est précisé que “ledit bois, par advis d’ experts, ne peuh de beaucoup servir à la construction nouvelle et est échu à plus qu’il ne vaut”.
Maçonnerie et accessoires
Toute la maçonnerie et la fourniture de pierre de taille de l’auditoire furent adjugées au rabais à Maîtres Jehan Puissant et Claudin Montaigne tous deux maçons à Vézelise, à l’exception des quatre grandes arcades du rez-de-chaussée pour lesquelles Maître Nicolas La Hière fut plus compétitif. Le tout pour 2.837 francs.
La menuiserie des croisées fut par ailleurs adjugée à Nicolas Thebligner, menuisier de Vézelise, pour 61 frs 3 gros, tandis que la vitrerie desdites croisées échut à Demange Marchand, verrier demeurant à Mirecourt pour 49 frs.
Enfin le blanchissage, tant au dedans qu’au dehors (crépissage) fut confié à Claudin Gourry pour 180 frs.
Charpenterie
“Pour la construction de la nouvelle halle tant au dessous qu’au dessus, toiture d’icelle, ainsi que pour les planchers, toiture, portes et ventillons des quatre arcades et huys de l’auditoire et grenier, suivant le plan en dressé par Maître Claudin Philippe, charpentier à Vézelise, joinct à celuy précédemment en dressé par ledit Maître Nicolas La Hier”, les experts avaient déclaré qu’ il fallait se procurer :
- 21 pièces en bois de chêne de 30 pieds de haut, 1 pied 1/2 au carré pour les estaches (piliers),
- 12 pièces de chêne de 30 à 40 pieds de long (une dizaine de mètres chacun) pour 40 arbalestiers,
- 6 pièces de chêne de même longueur, pour servir à faire les montants faisant séparation des fenestres et jours de la halle au dessus pour éclairer les greniers,
- 13 pièces de chêne, toujours de 30 à 40 pieds tant pour supporter lesdits montants que pour les traverses du plancher.
Tout ce bois pouvait être tiré des forêts du Comté de Vaudémont.
Il fallait en outre:
- 3 voiles de planches pour lattes et planchers (train de flottage),
- 37 sommiers de sapin
- 100 traveteaux de sapin de 14 pieds de long, “Ce bois se pouvant charger et acheter à BAYON”.
- 150 chevrons de sapin de 40 pieds, “ce bois ne pourra être chargé qu’ à NANCY ou à SAINT-NICOLAS”.
- 200 planches de chêne “pour fermer les accoustoirs de la halle en haut” (?)
L’ adjudicataire était tenu, à ses frais, de prendre possession du bois de construction fourni par la gruerie du Comté, “le faire abattre et mettre en charroy, ayder à charger sy l’ occasion se donne”.
Puis d’ aller “sur la repvière de Mozelle acheter le bois de sapin qui sera nécessaire et ayder à le faire charger et seront ses voyages à ses frais et despens“.
Enfin, tout le bois rendu sur place, “il devra dresser de tout point ladite halle, tant au dessus qu’ au dessous selon les plans. Planchera le dessus deladite halle, y fera les jours et accoustoirs, les fermera de planches. Dressera la toiture de ladite halle, fera un double plancher aus salle et chambre de l’auditoire, un simple au dessus pour le grenier et fera la toiture de l’auditoire. Il lattera l’une et l’autre desdites toitures. Fera deux montées de bois en forme d’escalier pour de dessous de la halle au dessus, un autre pour du dessus de la halle aller au grenier, enfin sept ventilons de portes, tant pour les arcades au dessous de l’ auditoire que pour les portes des chambres et greniers… le tout jusques à bien, rendra bon compte de tout le bois qui lui sera mis es mains et seront les ételles à son profit”.
Après mise à 1.500 frs par Me Philippe, puis à 1.400 par Maître Thomas de Socourt, charpentier à Vaudeville, et à 1390 par Antoine Poirson, charpentier à Affracourt, la façon fut enfin adjugée audit Maître Claudin Philippe, le concepteur pour 1.345 frs.
Tous les ouvrages et bois nécessaires à la charpenterie se chiffrèrent à 2.943 frs.
Le transport du bois échut au Sieur Claude Huyn, Maître Échevin du Comté, à savoir:
- le charroi du bois qui se prendra dans le Comté, pour 130 frs,
- le charroi de celui qui se chargera à Bayon ou autre lieu de pareille distance pour 264 frs,
- et pour celui qui se prendra à Nancy ou Saint-Nicolas, pour 215 frs.
La mise en oeuvre de cette énorme masse de bois devait nécessiter l’emploi de:
- 4 cents de broches de fer grandes et moyennes,
- 8 milliers de clous doubles,
- 8 milliers de clous simples.
Par ailleurs, 450 livres de barreaux seraient posés à trois des croisées éclairant la grande salle de l’auditoire.
La fourniture de toute cette ferraille fut adjugée à François, cloutier à Vézelise pour 113 frs 3 gros 4 deniers.
Couverture
“Claudin Gourry thuillier demeurant à Arragon (la tuilerie domaniale de Ragon proche de GOVILLER) se chargera de descouvrir à ses frais les toits des deux halles. La tuile sera et demeurera à son profit. Recouvrira néanmoins les toits desdits auditoire et halle, y fournira les festières et tuiles nouvelles s’ il en est besoing et tous les matériaulx ad ce nécessaire et rendra le tout fait et parfait jusques à bien, moyennant 2 frs pour chaque toise.
Pour lesquels cet ouvrage lui est échu, ayant été l’advis des experts que la forme de cette echoitte seroit au meilleur ménage que de faire descouvrir lesdites halles, resserer la thuille et en faire proffit, pour ny avoir lieu propre icy pour la resserer et pour ce aussy que les ouvriers n’ eussent pas eu grand soin de conserver ladite tuile en découvrant, et y eust heu de l’intérest très grand. Ledit toit pouvant contenir 100 toises”.
Le couvreur devait donc réutiliser les anciennes tuiles.
Autres frais
Enfin, il ne faut pas oublier les frais “exposés par le mayeur de Vézelise à la revisitation du lieu et place de ladite halle”.
“À Me Nicolas La Hière, lorsqu’avec Messieurs MAINBOURG, maistre aux requestes et de MALVOISIN, trésorier général (de Lorraine), il fust reconnaistre le lieu de l’assiette et situation de ladite halle, pour ses dépens, peines et vacations: 16 frs 6 grs.”
“Au même et plusieurs autres, massons et charpentiers, pour dresser la forme de la situation de la halle, jeter les cordeaux et faire les marques des longueur et largeur d’icelle, projeter les matériaux nécessaires pour rendre le tout fait et parfait, en faire prix et juger si les mises étaient raisonnables ou non. Pour trois journées qu’à ce ils ont vacqué: 36 frs.
“Pour les despens et peines de six à sept bourgeois de Vézelise, avec autant d’ex-perts, tant massons que charpentiers, emploiés à reconnaistre les cinq maisons à ruyner et à en faire prix et estimation: 20 frs.”
Bref, le coût total de l’ opération s’élevait à la somme considérable de 11.989 francs 4 gros 4 deniers.
Autres informations
Le 11 juin 1599, pardevant le lieutenant général du Bailliage, Louis VERQUELOT, le receveur général du Comté, Jean MARÉCHAL, le maire de Vézelise, Antoine BOUVIER, comparaissaient les différents adjudicataires “lesquels s’obligeaient de faire et parfaire” les ouvrages qui leur avaient été confiés “incessamment et selon qu’ils en seront interpellés. A charge d’ être payés à mesure et à proportion de leur diligence et debvoir à la perfection desdits ouvrages”. En particulier les maçons Mes Montaigne et Puissant promettaient de fournir tous les matériaux prêts et en état d’être mis en œuvre pour le 15 février suivant (1600) ou plus tôt si faire se peut sans toucher aucun denier.
Il semble que le coût en ait été supporté en grande partie par les habitants de Vézelise.
Les comptes de la ville pour 1599 mentionnent qu’il a été perçu 853 frs 4 grs sur les 254 conduits cotisables à l’aide, Son Altesse ayant laissé à la ville le produit de six mois de cette aide… à charge de payer la construction de l’auditoire.
Par ailleurs, ce sont les habitants de Vézelise qui adressent un requête au duc demandant 20 pièces de chêne pour la construction de la nouvelle halle ; la ville a payé 4 frs aux Jurés qui sont allés porter cette requête à Nancy.
Pour sa part, Charles III avait consenti un don personnel: “ayant plu à Son Altesse faiore ériger une nouvelle halle au lieu de Vézelise, elle a voulu contribuer pour la somme de 2.000 frs à l’édification d’icelle et d’ un auditoire”.
Il semble que les travaux aient traîné en longueur, peut-être à cause de difficultés financières, car en 1602, à nouveau, le duc donnait aux habitants de Vézelise, représentés par Gérard Gravelle et Claudin Barbanson, tous deux bourgeois de la ville, la somme de 400 frs “pour employer au bâtiment et érection de la halle nouvellement érigée à Vézelise et signamment au parachèvement de l’auditoire”.
Cependant le gros œuvre a dû être mené avec célérité et les halles ont retrouvé très rapidement leur activité coutumière puisque le fermier des ventes de Vézelise “en considération des pertes par lui supportées à l’occasion de la démolition de la halle” n’obtient une réduction de sa redevance que pour l’année 1600 seulement.
Pendant tout le XVIle siècle, on se borna, semble-t-il, à l’entretien courant. Pourtant les troupes en garnison ne devaient pas se priver de commettre des déprédations; pas seulement l’ennemi, mais aussi les troupes lorraines comme le prouve, en 1628, cette mention du receveur: “payé à un menuisier pour avoir fait à neuf plusieurs balustres au dessus du parquet de l’auditoire de Vézelise, rompus et emportés par les soldats du régiment de M. de Florainville pendant qu’ils étaient en garnison dans cette ville”. Il fallait bien du bois pour faire chauffer la soupe de ces braves soldats qui n’hésitaient pas à s’en prendre au mobilier du tribunal !