La Brasserie Moreau

Une fois n’est pas coutume, ce travail de recherche autour de l’histoire de la brasserie Moreau de Vézelise est basé sur les travaux de Bernard PERRIN que l’on peut retrouver en intégralité dans son ouvrage Histoire Méconnue  de Canton de Vézelise, autoédition, datant de 1993.

C’est à Battigny, dans une modeste habitation, qu’est né le 24 décembre 1837, François, Louis, Antoni Moreau. En fait, Antoni fut retenu comme prénom usuel. Son père Louis Claude Moreau, âgé de 31 ans, était originaire de Blénod-les-Toul. Avec son épouse Marie Braulot de six ans sa cadette, Louis Claude Moreau s’installa comme cultivateur à Battigny. Comme de nombreux agriculteurs de cette époque, il chercha à obtenir des revenus supplémentaires. Il devint distillateur ambulant ou brandevinier.

Antoni s’efforça dans son adolescence de devenir autant que faire se peu indépendant du foyer familial. Il se fit embaucher comme ouvrier aux brasseries de Pont-à-Mousson, puis de Wasselonne en Alsace. Il épousa Flavie Bourguignon de Selaincourt. Ensemble, ils décidèrent de voler de leur propres ailes en ouvrant une brasserie.

Il existait alors à Vézelise un modeste bâtiment à cheval sur l’Uvry datant du XVIIIe siècle. Sa petite chute d’eau alimentait une installation hydraulique de faible puissance. Depuis sa création, ce bâtiment avait connu différentes affectations. D’abord utilisé comme filature de laine par un nommé Salvain, dont la fille Marie Salvain tiendra plus tard un petit café à Vézelise, il devint ensuite moulin à tan, ce qui n’a rien d’étonnant dans une ville où les tanneurs jouèrent un rôle économique important. Puis ce fut un moulin à plâtre. Les frères Dufour, propriétaires, le transformèrent en brasserie, sans toutefois l’utiliser dans cette activité.

Antoni Moreau l’apprit ; il loua l’installation en 1863 pour une somme annuelle de 1400 F, avec promesse de vente pour 14000 F or. Les débuts de l’exploitation furent très durs, avec un matériel réduit à sa plus simple expression. La salle de brassage était composée d’une cuve où l’empâtage et le brassage se faisaient à la main, au fourquet et d’une chaudière à brasser à feu nu, sans dôme.

Quand la force hydraulique faisait défaut, un cheval tournant dans un manège, la remplaçait. La clientèle était limitée aux cafetiers de Vézelise et de quelques villages environnants. 1l fallait au début encaisser les produits de la vente d’un brassin, pour se procurer les matières premières du suivant…et pourtant, la vente de quelques terrains, provenant de la succession des parents de Mme Moreau, avait déjà constitué une mise de fonds.

La main d’œuvre était coûteuse. Pour cette raison, la mère de famille participait avec son mari aux travaux manuels de brassage.

La salle de soutirage de la bière en bouteilles.
La salle de soutirage de la bière en bouteilles.

Leur petit-fils Jean Moreau dira plus tard : «Je pense ici, avec émotion, à ma grand-mère qui se levait chaque nuit pour brasser les premiers hectolitres des bières de Vézelise».

Un travail acharné, une énergie indomptable venaient à bout de tous les obstacles. Malgré la présence très proche d’une des plus grandes brasseries de l’époque, Tourtel à Tantonville, les ventes augmentaient sans cesse et la situation s’améliora. La brasserie fut achetée par Antoni Moreau vers 1880. L’installation fut alors modernisée par l’acquisition d’une machine à vapeur et l’aménagement d’une nouvelle salle de brassage.

Antoni Moreau ne limita pas son activité à ses intérêts. Pour perfectionner ses fils, futurs brasseurs, il se vit dans l’obligation de les envoyer en Allemagne, démarche pénible pour un Lorrain patriote, quelques années seulement après le désastre de 1870.

Sur la tombe d’ Antoni Moreau a été déposée, avant 1914 une plaque de bronze, par l’Association des Anciens Elèves l’Ecole de Brasserie de Nancy, avec ce titre «Promoteur de l’ Ecole de  Brasserie». Le fondateur de la brasserie de Vézelise a bien mérité cet hommage, mais nous allons voir les importantes cuités qui surgirent par suite de la prédominance d’intérêts individuels.

En juin 1890, au congrès de Lille, les syndicats de la brasserie française envisagèrent de créer un laboratoire spécial à la brasserie et Nancy fut désignée comme la ville qui répondait le mieux à cette vocation.

L’idée fut saisie par le doyen Bichat de la Faculté des Sciences, un comité fut créé. Antoni Moreau en fit partie. Il fut décidé de réunir une subvention de 6000 F. Malheureusement l’accord primitif des brasseurs s’effrita rapidement et la somme déjà insuffisante de 4250 F qui avait été collectée, se réduisit à 2195 F, après le retrait de quatre grands brasseurs de cette époque. Ces derniers pensaient que la création d’un tel laboratoire était contraire à leurs intérêts personnels.

C’était l’échec, mais ni le doyen Bichat, ni Antoni Moreau ne l’acceptaient. Le fondateur de la brasserie de Vézelise augmenta, à titre d’exemple, sa modeste subvention. Avec le doyen Bichat, il multiplia ses contacts auprès des brasseurs, ses collègues, non seulement pour la création déjà envisagée du laboratoire, mais aussi pour une véritable Ecole de Brasserie.

«Tant d’ opiniâtreté devait enfin triompher» déclarait Jean Moreau en 1962, «Au début de 1892, le doyen Bichat pouvait annoncer que le projet serait mis à exécution, les promesses de subvention des brasseurs dépassant enfin, grâce aux efforts d’ un des leurs, la somme qui était requise…Les subventions ministérielles ayant été acquises d’ autre part pendant 1′ année 1892, Ecole ouvrait ses portes au début de 1893 ».

Quand Antoni Moreau décédait à l’âge de 66 ans, le 3 octobre 1903, la brasserie de Vézelise, avec ses 40.000 hi de bière par an, était déjà sortie de l’anonymat.

Ses fils, Louis (1866-1960), Félix (1873-1948), Paul (1876-1938) et Maurice (1878-1908) formèrent une société en commandite, par actions, sur les conseils de Charles Fisson de Xeuilley. Les frères Moreau développèrent rapidement leur activité. En 1907, en fusionnant avec la brasserie Courtois, ils créèrent la brasserie de Saint-Nicolas-de-Port. En 1913, avec ses 90.000 hl de bière par an, la brasserie de Vézelise commençait à s’orienter vers le nord de la France, quand la première guerre mondiale ralentit son expansion. Après 1918, les débouchés de la brasserie de Vézelise devinrent considérables. Ils comprenaient d’abord un important rayon local, le Nord, le Pas-de-Calais, la vallée du Rhône, de Lyon à Marseille et les exportations vers l’Afrique occidentale française, avec des expéditions en fûts métalliques, et même de la bière en boîtes, une technique d’avant-garde, menée avec Ferembal et qui obtint le label France. Un almanach de Meurthe et Moselle de 1936 précise même que la brasserie de Vézelise fabrique de la bière sans alcool de première qualité.

Brasserie Moreau

C’est d’ailleurs en modernisant sans cesse leur matériel que les frères Moreau acquirent cette notoriété dans le domaine de la bière (175000 hl en 1931), avec une qualité parfaite et constante. Une preuve de cette politique est apportée durant l’été 1921, une année particulièrement chaude et sèche. On le devine, dans le brasseries du Saintois et en particulier à Vézelise, alors en plein développement, les ventes augmentèrent considérablement, posant bien sûr des problèmes d’alimentation en eau, d’effectuée alors à partir de nappes souterraines et de plusieurs puits, au Pré Bossu.

Louis et Félix Moreau, directeurs de la brasserie, visitaient en août leurs différents dépôts. De passage à Mirecourt, Félix qui connaissait parfaitement la région, proposa à son frère Louis d’effectuer un détour par le Haut-Saintois, avant de regagner Vézelise. L’itinéraire choisi conduisit les deux voyageurs, accompagnés de Jean Moreau, fils de Félix, au pied d’un côteau, à proximité de Tramont-Saint-André.

Là, malgré la sécherese, par cet après-midi torride, une source abondante et limpide, coulait à gros bouillon, pour se jeter un peu plus loin dans l’Aroffe. Louis Moreau, d’abord surpris et silencieux, s’adressa ensuite à son frère :

«Nous l’achetons ?

Nous l’achetons», répondit Félix. Le groupe repartit vers Vézelise, après avoir prélevé un échantillon de la source. L’analyse de l’eau se révéla d’une qualité exceptionnelle, susceptible de servir de base à la fabrication de bières fines.

Trois jours après la visite de Tramont-Saint-André, Félix Moreau se rendait à Toul chez le propriétaire de la source. L’acte d’achat fut signé le 26 août 1921 pour une somme de 200.000 F de l’époque. mais il fallait amener maintenant à Vézelise l’eau de cette source, soit 14 km à vol d’oiseau et une crête à franchir d’une centaine de mètres. La brasserie de Vézelise se tourna vers les Fonderies de Pont-à-Mousson pour l’étude, puis la mise en œuvre de ces importants travaux.

La canalisation fut réalisée en tuyaux de fonte de Pont-à-Mousson de 150 et 175 mm de diamètre ; elle mesura 16,414 km. l’eau était élevée de 369,63 m à 469,09 m soit une hauteur de 94,46 m dans un brise charge, par des pompes centrifuges Sultziger, actionnées à volonté par des moteurs électriques ou des moteurs Diésel. De là, elle descendait par gravité d’environ 70 m, dans les réservoirs de stockage de 1000 m3, situés à 1200 m de la brasserie, puis au fur et à mesure des besoins, elle y parvenait par une nouvelle dénivellation de 40 m. Le coût de cette réalisation s’éleva à 1.700.000 F de 1922, soit 10.000 F or par kilomètre. Le financement fut en grande partie couvert par un emprunt de 1.500.000 F à la banque Renaud de Nancy.

Les travaux importants sur le terrain furent réalisés malgré les rigueurs de l’hiver 1921-1922. C’est à la pelle et à la pioche que fut creusée, le long des routes du Saintois, la tranchée susceptible de recevoir la canalisation. Un ouvrier fut tué au cours d’une explosion à la dynamite.

En août 1922, un an après sa découverte par les frères Moreau, l’eau de la source de Tramont-Saint-André arrivait à la brasserie de Vézelise. Elle assurait à cette industrie la solution définitive de son approvisionnement en eau, jusqu’à la fermeture de la brasserie en 1973.

Les années qui suivirent cette canalisation de la source de Tramant-Saint-André, constituèrent vraiment l’âge d’or à la fois de la brasserie et de la ville.

«Je suis arrivé à Vézelise pour la première fois le 1er janvier 1936, en fin d’après midi; mon père venait de reprendre l’Hôte: de Lorraine. Je descendais à pied depuis la gare ; la neige était tombée, le givre s’accrochait aux arbres, c’était féérique. En arrivant, je fus étonné par l’agitation qui animait la ville en plein hiver. Dans les cafés, quand la porte s’ouvrait, on apercevait des dizaines de consommateurs, il n’y avait pas une table libre. Vézelise m’a séduit dès mon arrivee…la preuve, j’y suis encore 60 ans plus tard».

Chargement des voitures

Ce témoignage de Guy Melnotte reflète la nostalgie des Vézelisiens qui ont connu cette animation extraordinaire, que pouvait apporter à une petite ville, une brasserie en pleine expansion. Plus de 200 hommes et femmes y travaillaient. Chaque jour, les voitures à chevaux partaient livrer les cafés de la ville et ceux du Saintois.

«Ah les chevaux, qu’ils étaient beaux avec leurs sabots cirés. Vous pensez si nous étions étonnés, nous les gosses de la campagne, habitués à la vision de la boue collée aux poils des bêtes. On courait pour voir l’ attelage de la brasserie s’arrêter devant le café, au centre de Goviller». (Souvenirs d’Ernest Gegout de Beuvezin) Et puis, si vous parlez brasserie et transport, les Vézelisiens évoquent aussitôt pour vous les Purey, camions anglais à vapeur, équipés de pneus pleins, qui plusieurs fois par jour, montaient au dépôt de la brasserie, établie près de la gare. La brasserie de Vézelise apportait à la voie de chemin de fer un trafic, sans cesse en progression et qui venait s’ajouter encore à celui de Tourtel de Tantonville.

Les Brasseries fermèrent leurs portes en 1972.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’activité commence pourtant à s’essouffler, la production de bière n’augmente pas mais reste néanmoins constante. Plus aucune modification n’est apportée à la brasserie si ce n’est une salle de soutirage bouteilles.

En 1959, la famille Moreau décide de s’associer à la brasserie de Saint-Nicolas-de-Port avant que l’entreprise ne soit rachetée en 1971 par le groupe belge Stella Artois. Un an plus tard la Société de Brasserie de Vézelise ferme définitivement ses portes. L’ensemble de son matériel est revendu et dispersé. Actuellement quelques vestiges de la brasserie de Vézelise sont visibles au musée de la Brasserie de Saint-Nicolas-de-Port.